Thursday, April 17, 2014

الجمعة / GAZA 3

*vendredi / الجمعة


Gaza, 10 avril 2014

Aujourd'hui, je me suis retrouvé un moment seul pour filmer quelques plans qui ne nécessitaient personne. Et là, un homme de ménage affable, croisé de nombreuses fois tout sourire, A. s'approche en s'excusant déjà. Chaque jour, nous l'entendons chantonner par delà les couloirs, au travers d'une porte entrouverte. 
Il me raconte les 15 jours bloqué dans l'hôtel il y a quatre ans, durant des bombardements, sans nouvelles de sa famille, des tirs pas loin de chez lui. Il me parle de ses peurs, de son désir de liberté; ne fut ce qu'une fois dans sa vie sortir de ces 41 sur 15 km de terre, les seuls qu'il connait. 
Un instant, il frappe sur son oeil gauche. Le son trahit du verre! Et sa main le retire pour montrer son visage à nu, borgne. Un éclat de mortier l'a touché lorsqu'il avait moins de 10 ans. L'année passée, il a perdu son oeil de rechange en se baignant. Le médecin grec qui l'avait soigné est depuis reparti loin. A présent, il ne nage plus, de peur perdre celui qui lui reste. Il se méfie de ce qui l'entoure; sa demie vue lui est vitale pour subvenir à sa famille. 
Nous partageons une cigarette en souriant. François, l'ingénieur son nous a entretemps rejoint. Nous sommes assis dans une alcôve et il se met à chanter, avec une douceur profonde, vibration émotive et réconfortante. 
Il repart discrètement, je n'ai pas réussi à le prendre en photo. L'image était de trop sans doute. 
D'autres personnes nous raconterons le son de la guerre et aussi celui des drones, bourdonnements constants; menaces presqu'invisible, nouvelles armes déshumanisées. Issus du développement militaire, les drones sont, dans d'autres contrées, des jouets pour enfants ou ... de nouveaux moyens de tournage. 
Le conflit prend de multiples visages que je ne vois que trop peu dans cet espace protégé, l'hôtel où nous tournons, très calme en ces jours. 
En fin de journée, on s'octroie une petite marche sur la plage à laquelle nous faisons face chaque jour. Le soleil descend rapidement. Je languis de l'eau. Personne ne se baigne, la mer est trop polluée près du petit port. Je marche les pieds dans le sable entre les déchets que plus personne ne semble voir. 
Le soleil s'est couché. les jeunes jouent au foot et me lancent des "Wolverine!", héros de X-men. Mes favoris ont leur coefficient de sympathie. On fera une petite partie de raquette de plage. En bois plein, mon poignet endure mais les rires accompagnent nos sauts et chutes. 
A quelques centaines de mètres, l'orchestre se fait entendre à nouveau. Encore un mariage. 
Je lève les yeux, et perçoit sur les immeubles dominants, des petits points noirs, acné de balles sur ces blancs, pores en appel d'air.